Les femmes ne meurent plus d'amour by Ahlem Mosteghanemi

Les femmes ne meurent plus d'amour by Ahlem Mosteghanemi

Auteur:Ahlem Mosteghanemi
La langue: eng
Format: epub
Tags: Les femmes ne meurent plus d'amour
Éditeur: Hachette Antoine
Publié: 2018-04-05T00:00:00+00:00


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1 Dans la langue arabe, « arbre » est un mot féminin. (NdT)

« Ceux que j’aime sont partis et je suis resté seul, comme l’épée. »

Amrou Ben Maad Yakrib

Elle a considéré la venue de sa tante paternelle comme une grâce du ciel. Elle déchargerait peut-être un peu sa mère de ses pensées obsédantes. En fait, depuis l’époque de l’émir Abdelkader, la Syrie ne s’était jamais vidée de ses Algériens, leur ouvrant toujours son cœur et ses frontières sans visas. Et de cette manière, sa mère aurait à s’occuper maintenant d’apprêter sa maison pour recevoir les proches et les amis.

La tante est arrivée, apportant dans ses bagages ce que sa mère avait demandé : des choses qui lui tenaient à cœur et qu’elle n’avait pas pu emporter à leur départ, des choses qui avaient une valeur affective. Sinon, à part elle-même, rien ne la touchait plus. Elle avait quitté sa maison en la laissant telle quelle à son beau-frère. Certaines pertes sont si grandes qu’aucune perte qui suit ne mérite qu’on s’en attriste.

En prenant la décision de partir, la mère avait dit : « Les piliers d’une maison sont ses hommes et non ses murs. Ceux qui apportaient la joie à la maison sont partis, elle ne représente plus rien. » Son oncle paternel était probe, il a tenu à payer le prix de la maison avec l’argent qu’il avait économisé en travaillant en France. C’était ainsi qu’elles avaient pu s’acheter un appartement à Damas.

Sa mère avait déjà vécu une tragédie semblable, en 1982, quand, adolescente, elle avait fui la répression contre la ville de Hama, avec sa mère, et ses frères et sœurs, pour s’installer chez ses oncles maternels, à Alep. Ils ne pouvaient plus vivre dans une maison où leur père avait été égorgé pendant qu’ils étaient cachés sous les lits. Ils avaient entendu sa voix supplier ses meurtriers, puis son cri d’agonie et la chute de son corps sur le sol. Un certain temps plus tard, après être sortis de leurs cachettes, ils l’ont vu couché dans une mare rouge, la tête presque détachée du corps et la barbe trempée de sang. Sa barbe était la preuve de sa culpabilité ; l’armée avait envahi Hama pour la nettoyer des islamistes et elle l’a effacée de l’existence.

Le plus douloureux avait été de voir un homme de son rang inhumé en secret, comme on enterre à la sauvette des bandits de grands chemins, un numéro parmi des numéros. Personne n’a suivi son enterrement, personne n’est venu présenter ses condoléances. Hama, la croyante, avait enterré trente mille morts en quelques jours, et certains ont été mis en terre dans le secret de la nuit. C’était une cohue de morts et les disparus n’ont pas bénéficié de beaucoup de larmes ; ils étaient les seuls à marcher dans les cortèges des uns des autres.

Sa mère n’avait rien oublié. Elle avait juste signé une trêve avec la mémoire. Mais les souvenirs revenaient, entre flux et reflux, comme les vagues. De



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